Découvrez nos coups de coeur de printemps !
Deux innocents, Alice Ferney, 1er mars 2023.
« Quand tu travailles avec ces enfants-là, ils réclament la matière de ton cœur, tu comprends ? »
Claire Bodin, mariée et mère d’un collégien, enseigne à L’Embellie, institut spécialisé qui accueille des adolescents porteurs d’un handicap mental. Dans sa classe, on rit, on parle, on écrit, on lit à haute voix, on joue à la marchande… Ses élèves l’aiment beaucoup car elle est gentille avec eux, chaleureuse, enthousiaste et encourageante.
Quand un nouvel élève, Gabriel Noblet, dix-sept ans, arrive dans sa classe, elle ne s’inquiète pas immédiatement de son besoin d’affection. Pour la saluer ou lui dire au revoir, il vient se blottir contre elle. Elle n’y voit rien de mal mais son mari, Marc, lui conseille de se protéger et d’en parler à la directrice de l’établissement.
Au même moment, la directrice reçoit une plainte des parents de Gabriel qui dénoncent une attitude inappropriée de la part de l’enseignante. Claire, qui n’a rien fait, ne se doute pas que cette plainte marque le début d’une interminable tourmente qui sera marquée par un drame… Mais que craindre quand on n’a rien fait ? Que redouter quand on a seulement voulu être gentil ?
D’une écriture incisive, Alice Ferney décortique les rouages de la machine judiciaire qui se met en branle, entre convocations chez la directrice, expertises psychiatriques, entretiens chez le juge… L’enseignement plein d’élan et de spontanéité de Claire Bodin est analysé et tout est souillé, l’histoire est réécrite au point de dénaturer sa relation avec ses élèves et de la faire douter elle-même de son innocence. À l’ère du soupçon, rien ne lui est pardonné. Le moindre détail devient une preuve de sa culpabilité.
Ce roman se lit en apnée tant l’implacabilité de l’engrenage est terrifiante. La profondeur psychologique, la justesse des dialogues et la foi en l’être humain que Claire a chevillée au corps en font un très grand et très beau roman.
« Plus que tous, ils fonctionnent à l’amour. Ils ont le cerveau affectif. »
Des lendemains qui chantent, d’Alexia Stresi, Flammarion. 1er février 2023.
Paris, 1935. Lors de la première du Rigoletto de Verdi à l’Opéra-Comique, un jeune ténor explose dans un second rôle et éblouit le public en volant la vedette au rôle-titre. Quel est le nom de ce prodige ? D’où sort-il ? Les journalistes et le Tout-Paris s’enflamment pour leur nouvelle coqueluche. Elio Leone est son nom.
Né en Italie, le jeune homme a connu une enfance solitaire, ballottée d’orphelinats en foyers, mais sa voix en or a émerveillé tous ceux qui ont eu la chance de l’entendre chanter. Ce don et sa force de travail suffiront-ils à lui assurer le bonheur ? Rien n’est moins sûr car, déjà, en Europe, des ombres avancent…
Un immense souffle romanesque, une belle reconstitution historique, un personnage principal attachant, des personnages secondaires très intéressants, une histoire émouvante de musique et d’orphelin qui prend sa revanche sur le destin… Bref, un très beau roman !
Le bureau d'éclaircissement des destins, de Gaëlle Nohant. 4 janvier 2023.
C’est à Bad Arolsen, en Allemagne, ville dont le prince était un nazi, qu’est situé l’International Tracing Service, le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les descendants de déportés écrivent à cette adresse pour avoir des informations sur leurs défunts ou leurs disparus. Les archives d’Arolsen contiennent des informations sur 17,5 millions de personnes et répondent encore aujourd’hui à plus de 20 000 demandes par an.
En 1990, Irène, qui vient d’épouser un Allemand, y trouve un emploi qui se transforme en une passion que sa belle-famille ne comprend pas. En 2016, un grand fils et un divorce plus tard, Irène est chargée de restituer les milliers d’objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Elle commence par une poupée de tissu et un médaillon. Chaque objet raconte des histoires croisées et des destins brisés. Au cours de son minutieux travail d’enquête, fait de rencontres, de plongées dans des archives, de lectures de lettres, Irène se heurte à des récits terrifiants et à de nombreux mystères qui perdurent. En cherchant la trace des disparus, elle rencontre ses contemporains qui lui racontent leur vie et celle de leurs ancêtres, qu’elle vient parfois compléter avec ses recherches.
De Varsovie à Paris et Berlin, en passant par l’Amérique latine, ces objets symbolisent des trajectoires individuelles et font partie de la mémoire collective de l’Europe et du monde. Avec l’histoire de leurs propriétaires, ils incarnent un pan de cette tragédie effroyable dont il ne faut jamais arrêter de parler, pour ne jamais oublier.
Un roman passionnant, extrêmement bien écrit, complexe et bouleversant, sur la Shoah et la vie d’après, mais aussi sur l’Europe et les liens entre les nations.
Flagrant déni, d’Hélène Machelon. Le Dilettante, 2 janvier 2023.
Juliette est une adolescente ambitieuse qui méprise sa mère et empoisonne l’atmosphère familiale depuis des années avec sa hargne et ses sarcasmes. Elle n’a qu’une hâte : passer son bac et partir en prépa loin de chez elle.
Quand elle se rend aux urgences avec sa mère en raison de terribles maux de ventre, elle ne se doute pas qu’elle va accoucher quelques heures plus tard. Accoucher ? Comment est-ce possible ? Elle pèse quarante-huit kilos et participait la veille encore à une compétition de natation. Rien ne l’a préparée à cette nouvelle et à cet événement qu’elle ne peut plus éviter.
Bientôt, l’enfant est là. Sonnée, hébétée, Juliette ne veut pas de lui. Puisque personne n’est au courant à part ses parents et sa sœur, ne peut-elle pas le faire adopter et continuer sa vie comme si de rien n’était ? Ce qui lui arrive ne fait pas partie de ses plans mais est-il possible d’ignorer « l’Autre » qui vient de naître ?
Ce roman est très beau. Le sujet du déni de grossesse est traité avec justesse, les relations mère-fille sont explorées avec délicatesse et sensibilité et il y a même un peu de suspense. Il n’y a pas de détails inutiles et très peu de descriptions. L’écriture est épurée, « à l’os », comme dirait Nicolas Mathieu. On a juste l’essentiel, des mots bien choisis, des métaphores sans esbrouffe, un style sec et serré, des phrases qui font mouche et visent le cœur.
Le Roi-nu-pieds, de François d’Epenoux. Éditions Anne Carrère.
Éric est rédacteur pour un grand groupe publicitaire. Il n’a que très rarement des nouvelles de son fils Niels, vingt-cinq ans, qui habite depuis plusieurs années sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
Un été, Niels débarque à l’improviste dans la maison de vacances familiale, accompagné de sa copine Tania et de son chien Vaggy. Si Éric est heureux de revoir son fils, la cohabitation devient rapidement compliquée car il est excédé par les joints que Niels fume du matin au soir, son odeur d’homme des bois et son oisiveté. À l’issue d’une énième dispute, il explose. « Dégage ! »
Deux ans plus tard, Éric se retrouve sans emploi, endetté, abandonné par un système économique dans lequel il n’y a plus de place pour lui. Il décide alors de rejoindre Niels, à Notre-Dame-des-Landes, dans son royaume, pour réparer leur relation et découvrir sa vie. Mais comment sera-t-il accueilli par ce fils qu’il a chassé ?
Un très beau roman sur la relation père-fils, assorti d’une plongée passionnante dans cette ZAD dont nous avons tant entendu parler mais qui demeure un mystère pour la plupart d’entre nous. La plume de François d’Epenoux est drôle, mordante, mais aussi très émouvante.
« Je n'en sais rien, Papa. À toi de voir. Moi, ma façon d'agir, c'est de ne pas agir. D'alléger mon poids sur la Terre. De vivre en creux. D'être neutre, presque invisible, inexistant. De croire à la solidarité et au partage, sans emmerder personne. Ça paraît naïf, je sais, ça fait grands discours… Mais ça ne coûte rien de rêver… »
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